Un programme de “ bornes à la demande ” peut-il de mieux répondre aux spécificités du déploiement français d’infrastructures de recharge pour VE ?

par Mihai Petcu, Directeur d’étude, CODA Strategies

En Europe, la directive sur les combustibles alternatifs (ou directive « AFI », pour « Alternative Fuels Infrastructure ») mentionne, à titre indicatif, un ratio de développement d’infrastructures de recharge de l’ordre de 10 véhicules électriques (VE) par point de charge (PDC) public dans les différents Etats Membres. Ce ratio a déjà été dépassé dans plusieurs pays, mais la façon dont les IRVE ont été développées et surtout leurs typologies (puissance délivrée, modèles d’exploitation) varient très fortement d’un pays à un autre.

La France figure parmi les pays ayant largement atteint les recommandations de la directive AFI. Grâce notamment aux projets amorcés dans le cadre du « Programme d’Investissements d’Avenir », un nombre significatif de collectivités locales a assuré le déploiement d’infrastructures de recharge pour véhicules électriques, pour un usage public, au niveau de leurs territoires. Ceci explique d’ailleurs l’important taux d’équipements en IRVE publiques dans l’Hexagone : 6,7 VE/PDC (ratio qui s’est dégradé suite à la fermeture du réseau Autolib’, le 31 juillet 2018), selon les chiffres du GIREVE, au Janvier 2019.

A contrario, en Norvège, pays dont le marché de la mobilité électrique est le plus mature en Europe, le ratio véhicules électriques / points de charge publics (VE/PDC) est plus faible, sans pour autant contraindre l’adoption des véhicules électriques qui continue à progresser dans le pays, portée notamment par les incitations financières à l’acquisition. Cette situation peut suggérer le manque de pertinence d’un rapport de type VE/PDC, ainsi qu’éventuellement l’importance d’un déploiement de bornes aux emplacements le plus susceptibles de contribuer au développement de la mobilité électrique sur le territoire national.

En France, près de 7,9 millions de logements collectifs et près de 4,4 millions logements individuels ne disposent pas d’un emplacement de parking privatif. Une large majorité de ces utilisateurs ne s’investissent pas dans la mobilité électrique en raison des difficultés à accéder à une recharge dans des conditions favorables : près de leur domicile, dans une logique de stationnement résidentiel et à des prix intéressants. Les déploiements des collectivités locales, sous PIA et indépendamment, témoignent de la volonté des pouvoirs publics à trouver des solutions pour cette classe d’utilisateurs. Cependant, les infrastructures déployées ne le sont pas systématiquement à des emplacements permettant de répondre aux besoins de recharge des utilisateurs finaux, et ne bénéficient donc pas systématiquement d’un niveau suffisant d’utilisation, assurant une pérennité économique de ces opérations. Cette situation conduit des collectivités locales à une certaine réticence vis-à-vis de nouveaux investissements, alors que ceux-ci s’avèreraient néanmoins nécessaires.

Les étude et analyses réalisées, couvrant les marchés les plus engagés en faveur de la mobilité électrique, comme la Norvège, la Californie, le Japon ou encore la Suède où le Pays-Bas, montrent l’importance, pour l’adoption du véhicule électrique, de la disponibilité d’une recharge « à domicile » économique. Dans la plupart des enquêtes réalisées dans ces pays, la recharge à domicile représente plus de 90% des recharges et cette pratique se développe avec le niveau de maturité des marchés. Recharger à la maison ou à proximité de la maison est confortable (une batterie « pleine » tous les jours) et surtout économique : sur tous les marchés étudiés c’est la solution la moins couteuse envisageable.

Un programme d’infrastructures à la demande : le cas d’Amsterdam

La disponibilité de points de charge publics est essentielle pour le développement de l’usage des véhicules électriques auprès des foyers sans accès à une structure de parking privative. Cette population est surreprésentée en milieu urbain et notamment dans les villes européennes, en raison de la nature du patrimoine architectural et de leur densité. Les municipalités concernées se retrouvent donc souvent dans l’impossibilité de stimuler la mobilité électrique, car dans l’incapacité d’assurer l’accès des utilisateurs potentiels à une recharge électrique dans un contexte résidentiel : recharge régulière, proche du domicile, confortable et surtout peu coûteuse.

Afin de pallier ces difficultés, plusieurs municipalités ont notamment mis en place un système de déploiement d’infrastructures « à la demande », visant à garantir la disponibilité de points de charge aux conducteurs de véhicules électriques stationnant dans la rue. Ces initiatives sont particulièrement développées aux Pays-Bas, mais des exemples sont observés dans d’autres pays également (la ville d’Oslo, par exemple, a développé un système similaire). Le programme le plus connu est celui de la ville d’Amsterdam.

Dans le cas de la capitale néerlandaise, la municipalité ne déploie pas d’infrastructures de recharges en voirie destinées à un usage public, sans une sollicitation de la part d’un utilisateur potentiel. Lorsqu’une demande est formulée, et si les infrastructures existantes sont jugées insuffisantes (c’est-à-dire ne permettant pas de satisfaire les besoins en recharge d’un l’utilisateur supplémentaire), les autorités locales initient le développement d’un ou de plusieurs nouveaux points de charge. Ces points de charge, et les places de parking associées, ne sont pas réservés à l’usage d’un seul utilisateur de véhicule électrique : tous les usagers disposant d’un badge de stationnement VE peuvent les utiliser. La garantie de disposer d’un point de charge près de sa résidence vient tout simplement du dimensionnement du système, qui est conçu effectivement afin d’assurer les besoins en recharge des différents utilisateurs dans un contexte résidentiel. Des entretiens réalisés par l’équipe CODA avec des utilisateurs du programme d’Amsterdam montrent la satisfaction de ces derniers avec ce type d’initiative.

Un programme de « déploiement à la demande d’IRVE » implique la mise en place d’une structure permettant de recueillir les demandes d’installation des utilisateurs potentiels. Dans le cas de la ville d’Amsterdam, les utilisateurs de VE ne disposant pas de parking privatif font une demande de « mise à disposition » d’une borne à proximité de leurs logements, auprès des services compétents de la municipalité (guichet unique en ligne). L’exploitant vérifie la pertinence de la demande, en analysant les taux d’occupation des PDC les plus proches, les éventuels refus antérieurs, etc., et décide d’une installation. Après une période d’adoption de la décision par le Conseil Municipal (qui dure au moins 6 semaines), le maître d’œuvre sollicite formellement le raccordement à l’opérateur du réseau électrique. Ce dernier accorde le raccordement à l’entreprise exploitante (Nuon / Heijmans) et permet à cette dernière de planifier les travaux. L’installateur installe le point de charge, prépare le site et le raccorde au réseau d’électricité. Cette intervention ne peut pas dépasser 4 heures. La localisation des points de charges est présentée sur les applications en ligne associées.

Sur le plan organisationnel, le modèle d’Amsterdam est intéressant en raison de la collaboration étroite mise en œuvre entre les différentes parties prenantes. Il est, par exemple, intéressant de noter que c’est l’installateur même qui réalise le raccordement des PDC au réseau, ce qui permet un gain de temps important. L’exploitation du service est concédée à Nuon / Heijmans. La ville impose uniquement le niveau maximal du prix, afin de garantir une recharge économiquement intéressante, mais l’exploitant peut appliquer ses propres tarifs.

Les avantages du développement des IRVE à la demande

Le programme implémenté à Amsterdam a été reproduit dans plusieurs municipalités, à la fois aux Pays-Bas et dans d’autres pays, en raison de ses différents avantages.

Premièrement, ce genre de programme assure l’utilisation du réseau de bornes, et implicitement son équilibre économique : étant déployés à la demande, les PDC sont utilisés régulièrement, ce qui permet de financer leur déploiement sur la seule base des recettes anticipées et non-pas exclusivement via des subventions. Si des aides ont été accordées dans un premier temps à Amsterdam (à la fois au niveau des CAPEX et des OPEX), certains déploiements similaires, ont été réalisés sans aucun subventionnement, les coûts étant supportés entièrement par le concessionnaire et récupérés à travers l’usage.

Deuxièmement, la « garantie » d’un usage concret attire les opérateurs privés d’infrastructures, étant donné le taux d’utilisation des bornes, qui est significatif et relativement prévisible. Exploités en concession, les réseaux sont financés majoritairement par ces acteurs, qui récupèrent leurs investissements à travers la tarification de la recharge. Il convient de noter que plusieurs acteurs, engagés à des degrés divers les déploiements français d’IRVE, sont activement engagés dans les déploiements à la demande néerlandais.

Finalement, les programmes peuvent jouer le rôle d’incitation à l’adoption de VE. La garantie de disposer d’un PDC accessible, à la fois sur le plan technique et économique, encourage évidemment l’acquisition d’un véhicule électrique. Dans un contexte de saturation des places de stationnement en milieu urbain, la priorité accordée aux véhicules électriques dans la mise à disposition des permis de stationnement peut en outre constituer une incitation forte à l’acquisition de ce type de véhicules.

Les infrastructures de recharge développées à la demande ont vocation à apporter une solution de recharge comparable à une recharge « résidentielle » : les points de charge sont donc utilisés quotidiennement et surtout pour des recharges de plusieurs heures : nocturnes lorsque les véhicules des résidents sont stationnés, ou diurnes lorsque les véhicules des visiteurs le sont (dans une logique de recharge au travail, par exemple). La puissance délivrable maximale nécessaire est donc relativement faible, un niveau de 7 kVA étant largement suffisant. En dehors des bornes « indépendantes » à installer, les programmes pourraient également contribuer au développement d’une infrastructure de recharge sur candélabres, une option techniquement intéressante dans le contexte français.

S’intéresser aux bornes à la demande en France

Etant donné le niveau actuel du développement du parc d’infrastructures de recharge, tout nouvel équipement devrait être déployé uniquement dans une logique « à la demande » et exclusivement lorsque les points de charge existants ne permettent pas de satisfaire les besoins de recharge des utilisateurs. Cela permettrait de développer des IRVE là où elles sont nécessaires et où elles seraient utilisées régulièrement. L’étude récemment réalisée par CODA Strategies pour le compte de la DGE, de l’ADEME et de la DGEC sur la « Caractérisation des déploiements d’IRVE en France » montre clairement l’intérêt des utilisateurs potentiels pour ce genre de programmes et la capacité de ce genre d’initiatives à débloquer le paysage de la mobilité, pour près de 12 millions de ménages ne disposant pas d’une place de garage privative.

Dans ce contexte, les pouvoirs publics centraux devraient encourager la création des programmes à la demande, a minima dans une phase pilote. Certaines municipalités ont déjà annoncé leur intérêt pour ce genre d’initiative ; les accompagner afin de garantir le succès de leurs déploiements devrait constituer une priorité nationale.

CODA Strategies a travaillé de manière approfondie sur ce sujet, dans le cadre de l’étude « Caractérisation des besoins en déploiement d’IRVE », réalisée pour le compte de la DGE, l’ADEME et la DGEC.

Mihai Petcu est directeur d’étude de CODA Strategies.

La téléassistance est morte, vive la e-assistance!

par Henri Delahaie

Les conclusions de l’étude PIPAME sur la téléassistance en France réalisée par CODA Strategies pour le compte du Ministère de l’Industrie, du Ministère de la Santé et de la CNSA sont désormais publiées suite à la présentation officielle du rapport le 24 février 2017.

Un constat fort qui transparait dans le rapport est l’importance de l’offre des services pour le développement du marché de la téléassistance, quel que soit les technologies innovantes qui peuvent être proposées. Même le marché actuel de la téléassistance démontre l’importance du service par rapport à l’équipement, environ 110 millions € en termes de prestations de services pour un marché annuel de l’équipement de l’ordre de 15 millions €. Par contre, la valeur du marché ne se développe pas malgré une croissance régulière du nombre de bénéficiaires avec une croissance annuelle moyenne de 5% par an depuis 2008 pour atteindre 580 000 personnes en 2016.

Cette étude sans faire un catalogue exhaustif de ces technologies -ce qui n’était pas son objet- a naturellement pris en compte la richesse de cette offre. Mais l’innovation de services devrait être contingente à l’innovation technologique, d’où cette idée de co-conception qui a été rappelée dans les recommandations de l’étude et qui a été soulignée lors de la matinée du 24 février dernier.

Les clients de ces « nouveaux » services sont déjà clairement identifiés, les aidants familiaux et les proches font l’objet d’une attention prioritaire, leur intégration dans la chaîne d’information ne présentant pas d’obstacles majeurs. Par contre, les autres parties prenantes comme les services médico-sociaux, les aidants professionnels, les professionnels de santé ne peuvent s’intégrer dans la boucle d’information que selon leurs propres critères et priorités. D’où le besoin de promouvoir et de négocier des cadres d’échanges avec les représentants de ces différentes institutions.

Mais ces nouveaux services ont besoin d’être supportés par des infrastructures de type plateformes offrant toutes les fonctionnalités d’interopérabilité, de normalisation, d’hébergement, de sécurité permettant de distribuer les informations relatives aux « nouveaux services ». Ce qui demande naturellement un effort d’investissement significatif pour les opérateurs de plateformes. Mais après tout, la fin du RTC les conduira de toute façon à migrer vers des solutions entièrement digitales.

C’est ici que le marché français peut se distinguer des marchés européens qui présentent des taux de pénétration élevés de la solution de téléassistance comme le Royaume Uni, la Suède, l’Espagne. Le marché français est extrêmement éclaté avec des modes d’intervention et d’organisation de la téléassistance qui se situent au niveau du territoire (département, communes, communautés de communes). Même si la collectivité territoriale n’est pas directement impliquée dans l’offre de services de téléassistance, elle va rester incontournable pour la validation de l’offre de ces services « institutionnels ». D’où l’exigence de trouver des prestations qui assument le retour pour les investissements qui vont devoir être réalisés sur les plateformes.

Pour surmonter les délais et les contraintes de cette situation, comment peuvent réagir les téléassisteurs ? L’Europe ne nous fournit pas de modèle pour répondre à cette question car les marchés leaders reconnaissent déjà la téléassistance comme une fonction support aux services du maintien au domicile. Il faudra donc découvrir de nouveaux marchés s’appuyant sur une population plus jeune, (la moyenne d’âge des personnes équipées étant actuellement d’environ 84 ans), et attirée par des services d’assistance qui correspondent à un mode de vie plus autonome. En passant on s’aperçoit que ces marchés sont beaucoup plus ouverts à des interfaces et des équipements numériques tels qu’ils sont développés aujourd’hui. Si on cherche la silver économie, elle doit être par-là !!! Avec une telle évolution, de nouveaux entrants sont attendus. Les téléassisteurs d’aujourd’hui n’ont pas tous vocation à être les catalyseurs des nouveaux marchés.

Naturellement, dans cette orientation, le mode de financement du service n’est plus du tout comparable. Les interventions et les aides publiques ne sont plus accessibles, il reste la solvabilité du sénior mais pourquoi pas les différentes caisses de retraite et les assureurs qui peuvent prendre en charge tout ou partie des nouveaux services proposés.

Au final, nous n’aurions plus un seul marché de la téléassistance, mais deux marchés qui se complètent, le marché de l’e-assistance avec des offres très discriminantes renvoyant à des besoins très divers pour les seniors actifs (de 60 à 80 ans environ pour fixer une classe d’age) et le marché de la téléassistance avec des innovations de produits et de services s’intégrant dans les politiques définies au niveau local et régional. A terme (2025), l’ensemble des deux marchés pourrait finalement représenter une valeur dépassant de façon significative les autres marchés européens où la téléassistance jouie aujourd’hui d’une forte pénétration.

Henri Delahaie est directeur associé de CODA Strategies. Il gère le pôle « Télécoms, M2M et téléservices » de CODA et, à ce titre, a assuré la direction de toutes les études CODA dans les domaines de la téléassistance et de la santé.